A l'occasion de la sortie de l'adaptation cinématographique du roman d'Olivier Bourdeaut, Petite Colette choisit de revenir sur ce chef d'oeuvre, sorti en 2016 et nominé au Prix Goncourt du premier roman.

Au rythme de la voix de la grandiose Nina Simone, le petit héros de cette histoire admire sa mère danser fougueusement dans les bras de son mari. Elle n'a pas de nom déterminé, elle en change tous les jours, elle ne travaille pas ; elle est la plus belle femme que son fils ait jamais vu et est certainement la mère la plus épatante que l'on n'ait encontré vu dans le monde du roman. Des parents qui font la fête tous les soirs, qui n'ouvrent jamais leur courrier et qui refusent de mettre leur enfant à l'école, cela paraît idyllique pour ce dernier ; la merveilleuse aventure dans laquelle la mère de famille a embarqué ses "hommes" se révèlera bien plus tragique que prévue.
Aborder la maladie mentale au travers du regard idéalisé de l'enfant
Constance, Camille, Geneviève - selon les jours - constitue un personnage fabuleux et pourtant en souffrance. L'oeuvre de Bourdeaut aborde avec un regard enfantin et naïf le trouble qui dévore la mère du jeune garçon ; aucun mot n'est posé sur la situation, seuls quelques indices parsemés au fil des pages peuvent nous indiquer le mal dont souffre la protagoniste principale. L'enfant perçoit la douleur de sa mère comme un évènement extra-ordinaire qui ne serait qu'un mauvais moment à passer.
Ce roman n'est pas seulement la représentation que le petit homme se fait sur le trouble bipolaire, de la femme qui l'a élevé et aimé ; même la description des couleurs, des sons et des odeurs reste toujours plus ou moins teintée d'un émerveillement propre à cette enfance particulière, nous assistons à une véritable diabolisation des instituts psychiatriques, plus particulièrement français. L'auteur marque une nette rupture entre le passé fantasque et le présent plus terne ; c'est là aussi que réside le génie de Bourdeaut : une évolution insidieuse et lente vers le chaos, symbolique même de la capacité de l'esprit humain à se détruire lui-même.
Le procédé de polyphonie (méthode littéraire consistant à donner la parole à plusieurs narrateurs) entre le père et l'enfant, mis en place très rapidement dans le roman, questionne aussi les impacts que les actes d'une personne atteinte de troubles psychiatriques peut avoir sur son entourage. La perception du jeune garçon confirme les soupçons de tous : la souffrance du malade est partagée par tous les gens qui l'aiment. Le père porte le fardeau d'avoir "laissé faire", de ne pas avoir cadré et canalisé l'énergie de sa femme ; tout simplement car leur amour repose également sur cette folie perpétuelle. Comme le démontre alors l'homme de la famille dans son carnet intime - qui sera mêlé à la vision de l'enfant dans l'ensemble de l'oeuvre - cette "mascarade" ne peut fonctionner qu'un temps. Mêler ainsi enfant et adulte casse l'effet d'enchantement permanent et tente de ramener le lecteur à la réalité - chose qui nous paraît violente durant cette lecture.
Le système d'accélération que met en place Bourdeaut donne l'impression au lecteur de participer à la course effrénée de cette famille étrange et inépuisable
Héritier de Boris Vian ?
Grand admirateur de Boris Vian, Bourdeaut l'honorera tout au long de son roman. Mêlant surréalisme et tendresse, l'auteur use des même procédés que l'on peut retrouver dans l'oeuvre la plus connue de Boris Vian : L'écume des jours. Tout comme le personnage de Colin, le petit héros de Bourdeaut perçoit la maladie comme un évènement passager et qui ne peut que s'améliorer. Les similitudes entre les deux romans sont troublantes, tous deux sont porteurs d'univers prodigieux et passionnés jusqu'à ce que la maladie subtilise tout leur espoir. Nous pourrions parler sans crainte d'un héritier de Monsieur Vian (ou Vernon Sullivan pour ce qui est des romans de suspens).
En somme, nous sommes confrontés à une oeuvre semblable à un conte que l'on ne peut s'empêcher de dévorer jusqu'à la fin ; pas de happy end à l'américaine, en revanche nous vous garantissons un excellent roman à la française.
J ai littéralement adoré le film mais ton article me donne encore plus envie de commander le livre. Bravo !!