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Hamlet // Dans les plis du temps : une claque

Photo du rédacteur: Manon FrançoisManon François

Présenté au Théâtre de l'Odéon en avril 2024, le Hamlet de Christiane Jatahy reprend pour quelques dates en ce début de saison 2024/2025. Le personnage emblématique de Shakespeare est désormais une femme, coincée dans les limbes du temps et tentant désespérément de trouver la paix. Féminisme, interrogations méta-textuelles et tragédie transformée en un drame familial bourgeois ; cette ré-écriture nous transporte et tente de répondre à l'interrogation éternelle : Hamlet a-t-il jamais été fou ?



Hamlet - Dans les plis du temps Christiane Jaharty ; Crédits : Simon Gosselin

Hamlet père est mort, là commence la plus grande pièce de théâtre que le monde ait connu. Le roi est mort et son enfant voit sa mère épouser le frère du défunt. Ici, Hamlet fils devient fille et se repasse en boucle, grâce à un magnétophone, le passage du spectre de son père et la révélation de son secret. Claudius, l'oncle d'Hamlet, aurait tué son frère afin de prendre le pouvoir.


Jusqu'ici, la trame demeure la même. Cependant, il n'est pas question de représenter cette tragédie shakespearienne de manière classique. Installés dans un salon moderne, Hamlet (Clotilde Hesme), Gertrude (Servane Ducorps) sa mère, Claudius (Matthieu Sampeur) son oncle-père ainsi qu'Ophélie (Isabel Abreu) et Polonius (Tonan Quito) se retrouvent après un mariage "express". Deux jours après la mort du roi, on célèbre déjà le mariage entre son frère et sa veuve. L'ensemble de la pièce se concentre sur la dynamique familiale et se transforme en un drame bourgeois, faisant des allers-retours entre un deuil collectif tabou et la douleur d'Hamlet, perdu(e) dans sa propre histoire.


Une mise en scène oscillant entre cinématographie et théâtralité


Procédé très répandu depuis quelques années, Christiane Jatahy choisit de projeter simultanément certaines scènes sur un écran. Dévoiler le hors-scène, laisser la porte ouverte afin que le public s'y engouffre : c'est un pari réussi pour la metteuse en scène. Les plans sont maîtrisés et participent à cette volonté d'exposer les tourments de la princesse du Danemark. Hamlet est re-dessiné, transformé en une jeune femme chahutée entre son esprit torturé et la violence de sa famille. Personne n'est sensible à ses cris, tout le monde la voit comme une "folle". Christiane Jatahy se focalise sur cette figure de la folie féminine, de l'hystérique. Si les tourments d'Hamlet-homme étaient justifiés par la douleur du deuil, ceux d'Hamlet-femme sont sans cesse remis en cause et minimisés.


Quant au décor, il n'y a pas plus glaçant et nauséabond que cet espace modernissime, qui dissimule tant de non-dits. Cette cuisine si brillante qu'elle en est aveuglante, ces télés high-tech, ses canapés tendances ; tous ces objets qui nous laissent une sensation de malaise et de déjà-vu. C'est peut-être la maison d'un membre de notre famille, d'un ami, d'un collègue... En somme, Jatahy travaille davantage sur le caractère d'identification, dont Hamlet manquait cruellement jusqu'ici. Si l'oeuvre originale shakespearienne peut être considérée comme un chef-d'oeuvre, c'est parce qu'il n'y avait jamais eu autant de théâtralité dans une pièce. On a la sensation que le pic d'intensité dramatique est omniprésent, nous retenons notre souffle du début jusqu'à la fin. En revisitant ce que l'on peut presque appeler un mythe, Hamlet - Dans les plis du temps propose une mise en scène réaliste et puissante.


Ophélie, Gertrude : les protagonistes féminins sortent de l'ombre


Jatahy s'entoure ici de comédiens absolument brillants ; Clotilde Hesme propose un Hamlet bien plus torturé que ne veut la tradition. Cette Hamlet souhaite faire resurgir les femmes de la pièce, souvent négligées et reléguées au second rôle. La fameuse scène du rejet d'Ophélie par le prince se transforme par la douceur d'Hesme, en une scène de pardon. Hamlet demande enfin pardon à Ophélie et venge ainsi toutes les femmes bafouées et humiliées. Enfin, Clotilde Hesme incarne un personnage perdu dans sa propre oeuvre, enfermé dans ses propres lignes et apporte une véritable sensibilité à (l'anti ?) héros original.


Ce n'est que de la fiction {...} Dans la réalité, les femmes sont oubliées {...} Elle est morte noyée - Ophélie à Hamlet, extrait.

Gertrude la reine et mère d'Hamlet, interprétée par Servane Ducorps, sort de l'ombre et représente ici une mère partagée entre son amour pour son beau-frère et la tourmente de sa fille. Mère indigne ou dépassée, dans tous les cas, Servane Ducorps est bouleversante.


Que dire d'Ophélie ? Isabel Abreu dépasse l'écriture du personnage initial et transforme la martyre en une femme porteuse d'un message profond. Sous la direction de Jatahy, elle porte en elle la trace du combat de toutes les autres femmes.


Finalement, cette pièce à la fois engagée et poétique permet également une forte réflexion méta-textuelle sur l'oeuvre shakespearienne. Où sont véritablement passés les personnages ? L'étreinte de cette malédiction peut-elle enfin se desserrer sur le prince danois ? Hamlet - Dans les plis du temps, un immense enchantement.



Hamlet - Dans les plis du temps

Du 10 au 20 octobre au centre culturel CentQuatre Paris

Du 20 au 22 novembre à La Comédie de Clermont-Ferrand




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