Depuis des semaines, la France est plongée dans une profonde incertitude : une crise politique se propage et sépare la population. D'un extrême à l'autre, la confusion et la peur règnent sur tous. Illustré par l'artiste C215, cet apologue prend la forme d'un rappel nécessaire face aux derniers évènements. Des petits compromis au totalitarisme.

Au début, ça commence par de légères concessions qui, soi-disant, ne gênent personne. En tout cas, pas nous, peu importe si cela dérange l'autre. Puis, cela s'amorce avec les chats ; l'État Brun interdit la possession d'un félin non teinté d'une couleur brune. Pas noirs, pas blancs, ils doivent être bruns. Cela n'est pas grave, ce n'est rien, juste un petit ré-arrangement de la vie quotidienne. C'est pour le bien de tous. L'individualisme prime, la pensée unique prend un peu de place. Mais pas trop non plus, enfin, pour l'instant. L'enfant qui pleure son animal tué par la milice brune n'avait qu'à s'en débarrasser avant. Ce n'est rien, ce n'est qu'un compromis. Il faut respecter la loi.
C'est ainsi que cette nouvelle démarre ; deux amis qui jouent à la belote et qui boivent quelques bières en parlant du nouveau régime politique extrémiste arrivé au pouvoir. Pas de précision spatio-temporelle dans cet ouvrage ; sa portée est ainsi universelle. Ces deux amis détournent le regard des arrangements. Ce n'est rien, pourquoi pas,"on n'a jamais essayé". Au fil du temps, ces renoncements se métamorphosent en oppressions. Désormais, ils s'attaquent à ceux qui possédaient un chien ou un chat non-brun. La terreur s'installe, l'individu est annihilé, son passé, son présent sont décortiqués, désormais aux yeux de l'État il est une potentielle menace.

Évidente analogie des tristement célèbres Chemises brunes, Franck Pavloff offre ici une fable déchirante par sa simplicité et son réalisme. Publiée en 1998, son oeuvre avait été citée de nombreuses fois lors des présidentielles de 2002 ; lors desquelles le politicien Jean-Marie Le Pen avait accédé au second tour. Aujourd'hui, il devient difficile de ne pas se tourner une fois de plus vers Matin Brun et sa morale.
Cette édition nous fait profiter du talent du peintre urbain C215. Connu pour ses portraits, les sujets de prédilection de l'artiste s'articulent autour des anonymes, des abandonnés, des enfants.
La perception de C215 mêlée au récit de Franck Pavloff propose une profonde réflexion sur le passage de l'extrémisme au pouvoir, et évidemment ses conséquences. Une oeuvre qui alerte, à lire encore et encore.
Matin Brun, de Franck Pavloff et illustré par C215, éditions Albin Michel 2014, 1998
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